Trop de gestion tue le social
L’Association des Chercheurs des Organismes de la Formation et de l’Intervention Sociales et l’Institut Régional de Formation d’Éducateurs sont heureux de vous inviter au séminaire :
Trop de gestion tue le social
Michel Chauvière – Sociologue
Résumé de l’intervention
Comme sociologue et politiste, je m’intéresse avant tout aux processus, aux tensions, aux rapports de force et de pouvoir dans le secteur social, ce que j’essaie de décrire au mieux en en montrant la cohérence. C’est pour cela que j’ai fabriqué le néologisme « chalandisation ». Il s’agit en effet, à mes yeux, d’un mouvement d’ensemble mais discret qui change le regard des acteurs, qui gagne du terrain et que l’on peut tout spécialement observer dans le secteur autrefois appelé « action sociale ». Je note en effet que la riche notion de service se vide progressivement de son contenu relationnel et solidaire pour devenir un simple objet de transaction. Du service du ou rendu au service vendu ou quasi vendu (solvabilisation réelle ou artificielle). L’organisation et la gestion des équipements destinés à répondre à la question sociale dans ses différentes manifestations suivent également la même pente rationalisatrice et pusillanime (de la LOLF aux CPOM). Contrainte par l’environnement et le retrait de l’État, la vie associative se fait entreprise, toutes les normes de modernité et de « bonne gouvernance » l’entraînent dans ce sens, concurrence à la clé. Mais sans la régulation par les prix et sans l’aiguillon du profit. Drôles d’entreprises ! D’où le renforcement inouï du poids des gestionnaires, dont la rationalité abstraite envahit tout le champ social et l’assèche. Quant aux professionnels, ils s’écartent du rôle d’acteurs du lien social pour devenir de simples ressources humaines pour la production de services sociaux performants (parfois dits « à la personne »), une production volontiers rebaptisée projet. Le tout est managé par des opérateurs publics ou privés, bardés de référentiels, de guides de « bonnes pratiques », sans oublier « l’usager au centre », comme s’il ne l’avait jamais été !
Texte de l’intervention
L’action sociale à l’épreuve de l’hypergestion Propositions pour le développement d’une sociologie critique
Dans le secteur de l’action sociale, les phénomènes d’instrumentalisation par le pouvoir politique progressent, la légitimité du dispositif historique est en berne et l’organisation générale plus délitée que jamais, ce qui met en question différentes spécificités historiques attestées et une longue expérience du « social en actes ». La nouvelle question sociale (chômage de masse, exclusions, désaffiliations, mais aussi discriminations et souffrances psychiques, risques de désintégration sociale…) et, plus encore, les modes d’administration aujourd’hui dominants (inflation législative et réglementaire, new public management, conversion des esprits aux logiques de l’entreprise et des régulations financières de l’action publique…) expose le travail social à un aggiornamento sans précédent. La nouvelle donne l’oblige notamment à devoir s’adapter à une norme gestionnaire non seulement totalement extérieure à lui mais surtout soutenue par de nombreux relais au point d’être incorporée par de nombreux acteurs et de devenir de plus en plus envahissante ; elle lui prescrit en outre de rendre toujours davantage de comptes à des autorités plus ou moins légitimes à ses yeux, parfois très incompétentes au plan technique, et à se soumettre à des comparaisons abstraites de coûts et de résultats, comme s’il s’agissait d’un marché de services. Mais cette domination montre tout de même de fortes contradictions. (Lire la suite)