Hommage à Jean Gondonneau : militant infatigable et consciencieux de l’éducation populaire, du droit des femmes et de la promotion sociale

Il est difficile d’être exhaustif pour rendre hommage à Jean Gondonneau tant ses combats menés pour l’émancipation et la promotion sociale sont nombreux et diversifiés. Néanmoins, je vais tenter de rappeler, en m’appuyant sur les souvenirs rapportés par des collègues et amis, des entretiens et discussions que j’ai eus avec lui et de la première version de la note biographique du « Maitron » rédigée par Geneviève Poujol1 des éléments importants liés à ses engagements militants et professionnels au cours de sa vie.

Né le 26 août 1939 dans le Lot-et-Garonne (Loubès-Bernac), Jean Félix Gondonneau est le fils d’un instituteur qui mourut à la guerre en 1940. Élevé par sa mère également institutrice et résistante dans un environnement laïc, il est cependant baptisé et fait sa communion.

Jeune étudiant-salarié, Jean entre à l’École normale d’instituteurs de Rouen où il fait une rencontre importante pour le reste de sa vie professionnelle et militante.

Militant de l’éducation populaire

En effet, Jean Ader (1925-1997), militant de Peuple et culture depuis 1948 et responsable de ce mouvement pour la Seine-Maritime, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud est le professeur de philosophie de Jean à l’École Normale de Rouen. C’est dans ce cadre que Jean est initié à la sociologie par Jean Ader qui est en relation avec des chercheurs comme Paul-Henry Chombart de Lauwe ou Joffre Dumazedier.

Ainsi, après sa formation à l’École Normale, Jean enseigne en cours complémentaire pendant trois ans puis au collège, avant d’être mis à disposition du mouvement d’éducation populaire Peuple et Culture en 1962. À cette époque, premier et unique salarié de PEC Haute-Normandie, il travaille avec Jean Ader et Gérard Héliot (1938-1982), également rencontré à l’École Normale de Rouen sur l’organisation des loisirs culturels par les comités d’entreprise.

Plus tard, Jean anime d’ailleurs avec la CGT, la CFDT et la FEN, des universités syndicales pour les militants culturels et syndicalistes des comités d’entreprise. Proche de certains militants de la CGT, il vit mai 1968 à Renault Cléon.

Dans les années 1960, au sein de Peuple et Culture, Jean passe une grande partie de son temps à favoriser l’esprit critique et à agir pour l’émancipation des personnes dans une diversité de milieux sociaux. On peut citer les milieux populaires avec la Mission populaire et la formation des foyers de jeunes du Havre avec le « prêtre-ouvrier » insoumis Jean-Marie Huret (1924-2004), les milieux ruraux avec la Mutualité sociale agricole, les milieux du commerce et de l’industrie avec la formation d’agents de vente et de maîtrise mais également au Centre interarmées de formation d’animateurs d’Angoulême2 avec Marcel Vigny (1910-1988), inspecteur de la jeunesse et des sports qui, aux côtés de Joffre Dumazedier fut, en 1945, un des fondateurs de Peuple et Culture au sein duquel il sera l’animateur de la commission rurale durant 15 ans.

Dans la pratique, dans tous ces milieux auxquels il faut ajouter les partenariats avec les mouvements de jeunesses et de l’animation dont les Éclaireurs de France normands que sa femme Arlette préside jusqu’au début des années 1980, les CEMEA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active), les FRANCAS (Mouvement des Francs et Franches Camarades), la Ligue de l’enseignement…, Jean s’appuie sur la méthode d’autoformation dite de l’Entraînement Mental créée par Joffre Dumazedier (1915-2002) et ses compagnons de la Résistance (Un peuple, une culture, Manifeste de Peuple et Culture, 1945) pour favoriser l’accès de tous au savoir. En effet, c’est dans l’échange et la confrontation, dans la recherche par le groupe des aspects de la situation, des points de vue, des contradictions, mais aussi dans la notion d’entraînement que la méthode prend sens.

On peut dire que l’Entraînement Mental dont il est un formateur infatigable, souvent accompagné d’Évelyne Dupont-Lourdel (documentaliste, militante de PEC Haute-Normandie), rythme une grande partie de sa vie professionnelle et militante.

 Militant de la formation sociale émancipatrice

Dans le cadre de Peuple et Culture, une autre rencontre professionnelle puis amicale oriente et influence une partie importante de la vie professionnelle de Jean. En effet, à la demande de René Boucher (1943-2018) qui est éducateur de rue à Rouen au sein de l’AREJ (Association Rouennaise d’Éducation de la Jeunesse) dans le quartier populaire de la Croix-de-Pierre, un stage d’Entraînement Mental d’une semaine est réalisé avec des jeunes de ce quartier. À partir de cet épisode, à la fin des années 1960, René Boucher crée au sein de PEC, alors présidé par Gérard Héliot devenu sociologue-urbaniste, un Centre de formation en cours d’emploi pour les éducateurs spécialisés et animateurs avec la participation de Jean au premier chef. C’est le début de l’épopée de l’IRTS en Haute-Normandie dont Peuple et Culture est une association fondatrice.

C’est aussi une période difficile au sein de PEC. En effet, à la suite d’un conflit d’ordre politique (centralisme/régionalisme) mais aussi générationnel, Peuple et Culture Haute-Normandie rompt durant un temps avec le mouvement national et prend le nom d’Éducation et Culture. Néanmoins, au milieu des années 1990, juste avant les cinquante ans de PEC (1995) devenue l’Union Peuple et Culture, les démarches entreprises par PEC national, notamment par Jean-François Chosson (1928-2003), aboutit au fait qu’Éducation et Culture redevient Peuple et Culture Normandie et adhère à l’Union. De nouveau très impliqué dans le mouvement national, alors qu’il est président de PEC Haute-Normandie, il est élu président de l’Union PEC de 2001 à 2007. Durant cette période, il est un président très investi et parcourt la France de long en large.

Quoi qu’il en soit, pour revenir à la formation des travailleurs sociaux en Haute-Normandie, alors que Jean est complètement engagé dans le centre de formation pour éducateurs en pleine ébullition créative au début des années 1970, il acquiert aussi une véritable reconnaissance académique. Depuis 1971, il est chargé de cours à l’université de Rouen en sociologie de l’éducation et en 1972, il devient docteur en sociologie en soutenant une thèse sur la sexualité et publie plusieurs ouvrages3 sur cette thématique qui lui apporte une reconnaissance académique mais aussi une certaine aura médiatique4.

Par la suite, lorsque l’IRFTS qui deviendra l’IRTS est créé en 1975, il incarne une figure intellectuelle et socio-pédagogique centrale de cette institution au sein de laquelle il occupe les fonctions de formateur, de responsable pédagogique puis de directeur-adjoint de 1986 à 1992. Ensuite, lorsque l’IRTS devient l’Institut du Développement Social (IDS), Jean, en tant que secrétaire général, devient l’une des chevilles ouvrières de l’Association pour le développement social et culturel international (ADSCI) qui gère l’IDS Normandie.

Au sein de l’ADSCI dans laquelle il agit au titre de Peuple et Culture, il partage avec les administrateurs les valeurs humanistes de l’éducation populaire, notamment le respect de l’individu considéré comme un acteur capable de transformation et de changement social. En effet, cette association a la volonté de former des intervenants sociaux éveillés et soucieux d’émancipation. C’est dans cette perspective, en 2018-2020, que Jean joue un rôle majeur avec Gérard Petit (ancien étudiant éducateur spécialisé à PEC Haute-Normandie devenu président de l’ADSCI des années plus tard) dans le combat ayant permis d’éviter la « fusion absorption » de l’IDS par l’IRTS de Caen qui affirme d’autres valeurs que celles de l’éducation populaire.

Militant de la cause des femmes

Un autre engagement est central dans la vie de Jean : celui de la cause des femmes. En pleine période de bouleversements culturels et des mœurs, la lutte pour le droit des femmes, notamment en matière de contraception et d’éducation sexuelle, est un grand combat de sa vie. En effet, depuis 1967 la loi Neuwirth autorise la vente et l’utilisation des moyens contraceptifs entraînant la dissociation entre procréation et sexualité.

Ainsi, en continuum de son engagement pour l’éducation populaire, Jean milite avec conviction au Planning familial qui joue un grand rôle dans la lutte pour le droit à la contraception, l’information sexuelle et la formation des médecins sur ces questions. Dans la pratique, Jean occupe la fonction de secrétaire national du Planning Familial entre 1968 et 1974. En tant que secrétaire national et sociologue, alors qu’en France les débats sur la sexualité sont vifs (affaire Jean Carpentier qui pose la problématique de l’éducation sexuelle, le procès Bobigny qui interpelle le gouvernement et l’ensemble de la société sur le droit à l’avortement, les féministes qui veulent faire entendre les aspirations sexuelles des femmes…), Jean fait partie de l’équipe de recherche (avec Lucien Mironer, Anne-Marie Dourlen-Rollier) qui, sous la direction du Dr Pierre Simon et avec la collaboration de l’Institut français d’opinion publique, réalise et publie en 1972 un volumineux « Rapport sur le comportement sexuel des Français ».

Durant cette même période, il fait la connaissance de la sociologue spécialiste de l’animation, de l’éducation populaire et du militantisme associatif, Geneviève Poujol (1930-) et de son mari (1954 à 1968) Michel Rocard. En effet, depuis sa création, Jean est membre du PSU et partage les options de Michel Rocard qui est secrétaire national du PSU de 1967 à 1973. Lorsqu’il se rallie au Parti socialiste en 1974, Jean reste rocardien en « fabiusie ». Il est même élu Conseiller régional de Haute-Normandie en 1986 puis élu d’opposition de 1989 à 2000 à Bonsecours.

Mais au-delà de l’environnement politique qui l’avait déçu, c’est dans le monde associatif et l’économie sociale et solidaire que Jean s’est engagé sans relâche. En plus de Peuple et Culture et de Formapec (auto-didacthèque à destination des publics en difficulté), entre autres, à partir du milieu des années 1990, il intègre le Comité régional d’éducation de la santé, le Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire, la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire et nombre d’autres associations.

En définitive, toute sa vie durant, à partir de ses combats pour l’éducation populaire, la formation pour adultes tout au long de la vie et le droit des femmes, Jean a su mobiliser son érudition, ses capacités de travail hors du commun et son goût pour la précision des mots, pouvant apparaître quelque fois obsessionnelle. Articulant « faits, idées, actes », Jean s’est mis au service d’une vision humaniste de la société qu’il a tenté de rendre un peu meilleure. 

De manière plus personnelle, alors que Jean a toujours fait partie de mon environnement familier en raison de sa relation ancienne avec mon père, jeune adulte, lorsque je suis moi-même devenu un acteur associatif et que j’ai choisi de m’engager dans une carrière sociologique, j’ai ressenti de sa part un réel intérêt, une reconnaissance, une envie de transmission et de la bienveillance. Il a d’ailleurs relu consciencieusement mes premiers manuscrits. Face aux épreuves et joies associatives, notamment à l’Union PEC où nous avons passé de nombreux week-ends et temps de travail loin de nos familles, nous avons développé une relation de complicité et d’amitié.

Pour reprendre les mots de Paul Fayolle (qui a été président de l’Union Peuple et Culture entre 2011 et 2017), à propos de Jean, il était « un homme engagé, rigoureux sur les principes, mais très chaleureux, humaniste profond et sensible ». Sa disparition nous rend tristes mais ses combats sont toujours d’actualité et restent à mener. Grâce aux archives qu’il m’a confié sur l’Entraînement Mental, notamment, Jean avait conscience de transmettre des armes et outils intellectuels pour que le sillon qu’il a contribué à creuser pour l’émancipation par la formation et la recherche continue de l’être.

Manuel Boucher
Président de PEC Normandie-Seine et Vice-président de l’ADSCI

Notes :
[1] [https://maitron.fr/spip.php?article88450].
[2] [https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf91052865/la-sexualite] ; [https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/06/22/l-armee-ouvre-a-angouleme-un-centre-de-formation-d-animateurs-pour-clubs-de-loisirs_2675929_1819218.html].
[3] Voir Jean Gondonneau, Techniques de l’amour physique, Paris, éd. Balland, 1971 ; La fidélité, Paris, éd. Casterman, 1971 ; Pierre Valinieff, Jean Gondonneau, Le couple et l’amour, Paris, éd. Balland, 1975.
[4] Voir [https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/rediffusion-de-documentaires-serie-sexualites-3-5-4813816].

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