Le ghetto

L’Association des Chercheurs des Organismes de la Formation et de l’Intervention Sociales et l’Institut Régional du Travail Social d’Aquitaine sont heureux de vous inviter au séminaire :

Le Ghetto
Didier Lapeyronnie – Sociologue

Résumé de l’intervention

Depuis une quinzaine d’années nous assistons en France à la formation de quartier-ghetto. Longtemps le terme a paru inapproprié pour décrire la situation des banlieues. Mais aujourd’hui, la conjonction de logique de ségrégation et de discrimination contribue à la formation de quartiers qui ont développé leurs propres modes d’organisation, leur propre sousculture. Le ghetto résulte de l’addition de la ségrégation raciale, de la pauvreté et de la relégation sociale et politique, de l’isolement social et de rapports néocoloniaux. Mais il est en même temps une réalité produite par le travail d’adaptation tout aussi collectif d’une partie de ses habitants à leur isolement et aux conditions sociales, raciales et urbaines qui leur sont faites. A partir des ressources dont ils disposent, ces habitants ont créé des « structures » ou des « institutions » qui permettent de se protéger, d’échapper quelque peu aux blessures infligées par la société. Parmi ces structures, les plus centrales sont la « rue » avec sa culture et son occupation par les « jeunes », la famille, les règles de définition des relations entre les sexes, les formes d’identification raciales qui lient et parfois opposent les individus entre eux. Dans cet univers, le racisme est fortement lié au sexisme. La « race » des hommes est inséparable du « sexe » des femmes. Le ghetto se forme autour de ces enjeux « raciaux » et « sexuels », l’héritage culturel et migratoire constituant une ressource dans le travail de fermeture et de réduction de la participation sociale que suppose son fonctionnement. Ainsi, les habitants fabriquent un mode de vie collectif spécifique qui permet de « résister » et de faire face, mais qui impose aussi des souffrances et des blessures personnelles parfois profondes. Car ce qui est un mode de défense collectif et aussi un handicap, un fardeau individuel, non seulement à l’extérieur du ghetto, mais aussi à l’intérieur, bien évidemment pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Il en résulte une tension permanente entre l’ordre social et collectif, celui de la rue, celui de la famille, de la race et du sexe d’un côté et l’ordre individuel et personnel de l’autre. Les habitants du ghetto travaillent collectivement à l’élaboration d’un « univers » auquel ils tentent d’échapper personnellement. Le ghetto est à la fois une cage, chacun est forcé d’y vivre et aspire à autre chose, et un cocon où l’on se sent bien, protégé du mépris externe, le seul lieu où peut s’affirmer une dignité individuellement.